L’année 2018 restera celle de la reconnaissance officielle de la neuroéducation (les neurosciences appliquées à l’éducation) qui entre au sein de l’Éducation nationale à l’instigation de son nouveau ministre, M. Jean-Michel Blanquer. Un conseil scientifique de 17 membres présidé par Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, est nommé au sein de l’institution. La liste des membres, une vingtaine, dont cinq d’entre eux viennent d’universités étrangères (Barcelone, Boston, Harvard, Lausanne, Mons) est donnée en annexe ; elle comprend des personnalités reconnues dans leurs domaines : psychologie, apprentissage, mathématiques, informatique, sciences humaines, neurologie, neuroimagerie cérébrale, etc.
L’incompréhension, les réticences et les oppositions sont naturellement très fortes et se manifestent avec véhémence. Il n’est pourtant pas inutile à un enseignant ou à un apprenant de savoir comment fonctionne un cerveau humain ; après le behaviorisme (ou comportementalisme), l’apport des sciences cognitives depuis les années 50 est positif en pédagogie. Les progrès extraordinaires des techniques d’exploration de l’activité cérébrale apportent depuis quelques années un remarquable éclairage supplémentaire sur les mécanismes de nos fonctions mentales. Il n’existe aucune opposition sérieuse entre les neurosciences et les sciences humaines ou la psychologie, bien au contraire ; les neurosciences apportent l’objectivité scientifique qui manque parfois aux précédentes, plus intuitives..Jean-Michel Blanquer a d’ailleurs insisté sur ce point dans le texte qu’il a publié lors de l’installation du Conseil :
» Le Conseil scientifique de l’éducation nationale est un atout essentiel pour l’ensemble de la communauté éducative qui pourra ainsi bénéficier des dernières avancées de la recherche. Par ses travaux, par ses débats, le Conseil scientifique va éclairer la décision politique sur les grands enjeux éducatifs de notre temps. »
En complémentarité avec le Cnesco et les inspections générales, le Conseil scientifique, dans une approche résolument pluridisciplinaire, va nourrir la réflexion pédagogique en mettant à la portée de tous les résultats de la recherche de pointe comme des expérimentations de terrain.
Au plus près des besoins des professeurs, le Conseil fera des recommandations pour aider notre institution et les professeurs à mieux saisir les mécanismes d’apprentissage des élèves et ainsi mieux répondre à la diversité de leurs profils. »
Son travail aura aussi un impact sur la formation des cadres de l’éducation nationale via l’Esen (École supérieure de l’éducation nationale). Les travaux du Conseil vont permettre également de nourrir le contenu des formations initiales et continues des professeurs. En conjuguant l’excellence du savoir-faire empirique des professeurs et le meilleur du savoir théorique établi par la communauté scientifique nous offrirons à la communauté éducative les outils pédagogiques plus adaptés à notre temps.
« Les travaux du Conseil doivent nous permettre de dépasser des clivages qui ont pu parfois paralyser l’École. Rassemblés autour de constats clairs et d’objectifs communs, nous allons faire de l’éducation nationale une référence en matière de pédagogie, socle indispensable du progrès de tous nos élèves. » (Jean-Michel Blanquer)
Rappelons que la neuroéducation n’a rien à voir avec la neurostimulation. La neuroéducation cherche à optimisé nos méthodes pédagogiques en fonction de l’activité normale, spontanée du cerveau ; la neurostimulation ambitionne , par contre, d’améliorer nos fonctions cognitives (mémoire, attention, etc.) par des méthodes de stimulation externe du cerveau (courants électriques ou magnétiques, drogues…), ce qui est souvent illusoire, dangereux et pose des problèmes éthiques. Les neurosciences éclairent ou complètent les données classiques des sciences humaines et doivent être considérées comme un outil supplémentaire à notre disposition. Les travaux d’Antonio Damasio montrent qu’elles permettent aussi de mieux comprendre le rôle majeur des émotions dans nombre de nos fonctions mentales comme la prise de décision ou l’apprentissage. Les neurosciences utilisées à bon escient par des expérimentateurs compétents apportent enfin , et nous insistons sur ce point, une objectivité scientifique qui manque parfois à la psychologie.
Les avancées sur la compréhension toujours plus fine du rôle des astrocyteset des neurones miroirs, ainsi que sur le fonctionnement global des réseaux de neurones apportent sans cesse de nouvelles données sur l’apprentissage et des éléments pour améliorer nos méthodes pédagogiques. La Grande-Bretagne et la Finlande ont obtenu une diminution très sensible de l’échec scolaire en moins de trois ans en s’inspirant des neurosciences pour moderniser leur enseignement.
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Brigitte Vincent-Smith (Didacticienne des langues étrangères), Nicolas Potheret (Psychologue de l’enfant et de l’adolescent), Pierre Huc, (Neuropsychiatre) ont assuré au mois de mars dernier deux journées de formation en neuroéducation auprès du corps enseignant du Collège Emmanuel Maffre-Baugé de Paulhan (Hérault). Le Collège envisage la création d’un pôle de neuroéducation en son sein.
Ils sont invités à Sousse (Tunisie) au congrès organisé du 1erau 3 novembre 2018 par l’Association de dépistage et de prise en charge des enfants à haut potentiel et la Faculté de Médecine de Monastir à présenter conférences et ateliers sur la neuroéducation (B. Vincent-Smith et P. Huc) et les tests psychologiques chez l’enfant. (N. Potheret).
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Le traditionnel symposium annuel d’INI à Collioure (le sixième déjà) s’est tenu le samedi 23 juin au centre culturel devant une salle comble dans une ambiance décontractée et sympathique.
Jean-Michel Oughourlian (Paris) a abordé quelques-uns des grands textes fondateurs de notre civilisation sous l’angle du Désir Mimétique, hypothèse développée par René Girard (Université de Stanford) et confirmée bien plus tard par la découverte des neurones miroirs par Giacomo Rizzolatti et collaborateurs (Université de Parme).
Jacques Touchon (Montpellier) a envisagé le développement de notre personnalité à la lumière de la plasticité cérébrale et de ses conséquences en fonction de notre environnement et de notre expérience personnelle.
Monica Maspéri (Université Stendhal, Grenoble) nous a parlé de son projet d’apprentissage des langues étrangères (INNOVA-langues) qui lui a valu le prix de la Commission Européenne.
Youssef Marouani (Sousse, Tunisie) a exposé le rôle des émotions en enseignement – apprentissage sans négliger leurs effets sur le système neuro-végétatif.
Monica Neagoy (Paris et Georgetown) a traité les méthodes modernes d’apprentissage des mathématiques.
Pierre Huc et Brigitte Vincent-Smith (INI, Collioure) ont fait le point sur les découvertes récentes en neurosciences et leurs applications en enseignement – apprentissage.
Le prochain symposium de Collioure se tiendra au Centre Culturel comme chaque année, en principe le samedi 22 juin 2019.
Annexe :
Composition du Conseil scientifique de l’Éducation nationale (2018)
- Président : Stanislas Dehaene
- Secrétaire général : Nelson Vallejo-Gomez
- BERRY Gérard (Professeur au Collège de France – Chaire Informatique et Sciences numériques.
- BIANCO Maryse (Enseignante-chercheur au Laboratoire de recherche sur les apprentissages en contexte de l’Université de Grenoble-Alpes)
- BRESSOUX Pascal (Professeur à l’Université de Grenoble-Alpes en Sciences de l’Education)
- DEAUVIEAU Jérôme (Professeur des universités et directeur du département de Sciences sociales de l’ÉNS-Paris)
- DEHAENE Stanislas (Professeur au Collège de France – Chaire de Psychologie cognitive expérimentale)
- DEMEUSE Marc (Professeur à l’Université de Mons (Belgique) en Psychologie et Statistique )
- DUFLO Esther (Professeur au Massachusetts Institute of Technology – Chaire « Abdul Latif Jameel » sur la réduction de la pauvreté et l’économie du développement)
- FAYOL Michel (Professeur à l’Université Blaise Pascal de Clermont en Psychologie cognitive et du Développement)
- GHYS Étienne (Directeur de recherche au CNRS à l’ÉNS-Lyon (Mathématiques, Géométrie, Topologie et Systèmes dynamiques)
- GURGAND Marc (Directeur de recherche au CNRS. Professeur en Politiques publiques et Développement à l’Ecole d’économie de Paris et à l’ÉNS-Paris.)
- HURON Caroline (Chargée de Recherche INSERM. Docteur Psychiatre. Chercheur au Laboratoire de neuro-imagerie cognitive – INSERM )
- KOUIDER Sid (Directeur de Recherche CNRS. Enseignant-chercheur à l’ÉNS-Paris en sciences cognitives, psychologie du développement)
- PASQUINELLI Eléna (Enseignant-chercheur à l’ÉNS-Paris en Sciences de l’éduction. Membre de l’Institut Jean Nicod (ÉNS-EHSS-CNRS)
- PROUST Joëlle (Directeur de Recherche au CNRS – Membre de l’Institut Jean-Nicod (Philosophe, spécialiste de métacognition)
- RAMUS Franck Directeur de Recherche au CNRS – Professeur attaché à l’ÉNS-Paris-EHESS-Université de Paris-Descartes en Sciences cognitives et Psycholinguistique.)
- SAVIDAN Patrick (Professeur d’éthique et de philosophie politique à l’Université de Paris-Est Créteil (UPEC), directeur de la revue Raison Publique et président de l’Observatoire des inégalités )
- SEBASTIAN-GALLES Nuria (Professeur à l’Université de Barcelona en Sciences cognitives et bilinguisme)
- SPELKE Élizabeth (Professeur à Harvard Universiy en Psychologie comportementale)
- SPRENGER-CHAROLLES Liliane (Chercheur émérite au CNRS au laboratoire de Psychologie cognitive (Université d’Aix-en Provence). Linguiste et psycholinguiste)
- SUCHAUT Bruno (Professeur en Sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. Directeur de l’Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques)
- ZIEGLER Johannes (Directeur de recherche au CNRS. Directeur du Laboratoire de Psychologie cognitive – Université d’Aix-Marseille)